Le Made in France, oui mais à quel prix ?
04 avril 2022La fabrication française chez BUT nous y adhérons depuis toujours, nos 9000 salariés le savent et en sont fiers : notre enseigne est probablement aujourd’hui celle qui met le plus en marché de meubles Made In France. Elle fait partie de notre ADN et depuis 50 ans nous avons tissé des partenariats forts avec de nombreux fournisseurs français.
Mais le Made in France est-il l’Alpha et l’Omega de l’achat responsable ?
Comment concilier contrainte budgétaire et prix de vente d’une offre plus responsable ?
Comment rester fidèle à notre mission de proposer au plus grand nombre la possibilité de s’offrir tout l’univers de la maison à prix accessible ?
Comment responsabiliser nos achats sans sacrifier à cette accessibilité qui nous est chère, sans mentionner notre compétitivité et croissance ?
Alexandre Falck a pris la parole dans Les Echos du 31/03/22 et donne sa vision des enjeux de l’industrie française. Voici l’intégralité de sa tribune.
Le Made in France, oui mais à quel prix ?
Privilégier le Made in France pour sauver les entreprises françaises n’est pas nouveau, c’est un refrain récurrent, mais aujourd’hui plus qu’hier il semble être devenu… un slogan publicitaire. J’entends « reconquête industrielle », « relance sur le plan économique et social », « réduction de la fracture territoriale », « relocalisation des savoirs faire français »… J’ai lu, entendu, écouté les formidables échos du salon du même nom.
Chez BUT nous y adhérons depuis toujours, nos 9000 salariés le savent et en sont fiers, ils savent aussi que nos clients, (155 millions de visites par an dont 120 millions sur le web) comptent sur nous pour lutter aujourd’hui, comme depuis 50 ans, contre la vie chère, contre la tentation de la hausse des prix. Alors, nous nous méfions des slogans et des certitudes.
Nous sommes aujourd’hui le 1er réseau d’équipement de la maison en France. A l’aube de nos 50 ans, nous avons souhaité nous projeter vers l’avenir en revisitant notre stratégie RSE et notre feuille de route à horizon 2026. Rapprocher, localiser notre chaine de valeur, en est évidement l’un des enjeux, qui vient soutenir notre ambition de proposer une offre responsable accessible à tous. S’y ajoutent la gestion des déchets, les produits éco-conçus, la réparation et réemploi des produits, la réduction de notre empreinte carbone, la santé physique et mentale de nos collaborateurs, ainsi que leur sécurité́ … en tout 21 axes d’engagement pour soutenir deux autres ambitions structurantes : agir en tant qu’employeur engagé et être un acteur de proximité responsable.
La réalité est là : envisager une croissance éthique –Made in France, certes mais parmi tant d’autres critères, quoi qu’en disent ses parangons – c’est avant tout préserver une croissance rentable.
Un nouveau défi se dresse alors : comment concilier contrainte budgétaire et prix de vente d’une offre plus responsable ?
Depuis près de 50 ans, nous valorisons la création, les savoir-faire et les industries locales.
But est probablement le commerçant qui met le plus en marché de meubles Made In France, sans le clamer, sans en faire campagne, sans le dire. Ce n’est d’ailleurs pas très compliqué puisque le leader de notre marché fait partie des marques préférées des Français sans pour autant proposer de meubles Made in France ou seulement très marginalement.
Consommer français, c’est d’abord consommer des entreprises françaises. Et ainsi préserver leur existence, leurs salariés, l’ensemble de leurs écosystèmes pour maintenir cette fameuse cohésion territoriale.
Consommer « français » ne se réduit pas à un logo ou à une photo au côté d’un ministre, c’est toute la chaîne de valeur dans son entièreté qu’il faut prendre en compte. La baisse des impôts de production, prévue par le plan de relance de l’économie et mise en œuvre par la loi de finances pour 2021 entend redonner toutes les clefs aux entreprises pour un investissement et une implantation en France sous-tendue par la compétitivité et l’innovation.
Nous l’avons compris dans cette ère de « l’après », les aspirations des consommateurs à consommer moins mais mieux et contribuer au développement social et économique des territoires près de chez eux, sont incontournables. Et ils attendent des entreprises et des marques qu’elles les aident à acheter plus durable, tout en pratiquant des prix abordables. Nos clients n’y dérogent pas, mais leur premier facteur d’achat reste le prix, ils restent contraints par leur pouvoir d’achat, et là je ne parle pas d’un slogan.
Naturellement et sans en faire un étendard de communication, nous avons toujours mis la fabrication française au cœur de notre offre. Mieux, elle fait partie de notre ADN et depuis la création de l’enseigne nous avons tissé des partenariats forts avec de nombreux fournisseurs français.
Nous l’avons fait parce qu’en plus d’être Made in France, la plupart de nos fournisseurs proposent des produits de qualité, appréciés par nos clients et sont souvent capables de s’adapter aux besoins des consommateurs en faisant preuve d’agilité et d’innovation.
Sundis, concepteur et fabricant de solutions de rangement et de produits ménagers pour la maison – made in France – est l’un d’eux. Au départ simple distributeur l’entreprise s’est lancée dans la fabrication en France dès 1995 puis rapidement dans des produits en matière recyclée, qui constituent 50% de son offre aujourd’hui.
Notre industrie est en « surchauffe » … forte demande, augmentation des prix liée aux pénuries ou à l’inflation des matières premières, saturation des lignes de production des industriels français, parc de fournisseurs ou capacité d’innovation restreinte, écarts de prix considérables sur certaines familles de produits (jusqu’à 40% sur la petite décoration), difficultés rencontrées hélas par certaines entreprises… les enjeux sont nombreux.
En surchauffe et parfois aussi tout simplement en manque de compétitivité. Nos fournisseurs sont parfois « coincés » entre leurs propres sources d’approvisionnement qui se sont concentrées et qui ne jouent pas toujours le jeu de la saine concurrence et leurs clients qui se sont également regroupés pour faire face au grand chamboulement du commerce.
La réalité du tissus industriel Français est complexe et diverse.
Notre cuisine 1er prix Uno fabriquée par Parisot, leader français du meuble en kit depuis 1936, partenaire de But depuis de nombreuses années, affiche à la fois « Fabrication Française » et un prix de 179 euros. La production étant simple et automatique, nul besoin d’aller la fabriquer ailleurs.
La chaise made in France, elle, reste un sujet moins concluant. Le design exclusif et l’expertise, la réactivité d’un circuit court et la désirabilité entretenue par un marketing bleu blanc rouge sont confrontés à des coûts de main d’œuvre qui ne permettent aucune marge. Une chaise fabriquée en France est 2 fois plus chère que chez nos voisins de l’Europe de l’Est à qualité et attributs comparables. Les chaises « Made in China » sont encore moins chères. Nous souhaitons néanmoins proposer à notre clientèle quelques modèles de chaises « made in France » à prix abordable dès 2022 mais le potentiel de développement sera probablement limité.
L’industrie de la literie Française a su, au cours du temps, développer des marques fortes et mettre en place une logistique adaptée aux réseaux de magasins en France, le « Made in France » est donc dominant aujourd’hui. Pour le rester, il devra rester compétitif, attention à la sanction des consommateurs, les prix des lits ont augmenté 18% entre 2019 et fin 2021.
Le Made in France a un prix. Que nous absorbons volontiers, quand c’est celui de l’expertise et de l’excellence d’un savoir-faire, celui de la qualité des matières utilisées. Car en collaborant avec des fournisseurs de proximité nous créons et distribuons de la valeur sur les territoires. Nous maîtrisons ainsi, l’empreinte environnementale de nos produits et préservons les emplois locaux en France et en Europe. Une proximité géographique qui incidemment facilite aussi le travail avec nos partenaires, optimise la réactivité de notre service après-vente et la disponibilité des pièces détachées. Ce choix des circuits courts est aussi apprécié de nos clients.
Du reste qu’entend-on par Made in France ? Une part significative de la valeur du produit ? D’une ou plusieurs étapes de fabrication localisées en France ou d’une dernière transformation substantielle ? Attention aux arnaques. Certains industriels français, parmi les plus vocaux sur le sujet du Made in France produisent eux même en grande partie hors de France.
Osons ! Non, Le Made In France n’est pas l’alpha et l’omega de l’achat responsable. Pire, il signifierait pour BUT une perte de sens et de valeurs sans mentionner sa compétitivité et sa croissance.
C’est de nos fondamentaux dont il s’agit, de notre mission : proposer au plus grand nombre la possibilité de s’offrir tout l’univers de la maison à prix accessible. Concrètement : mettre sur le marché une offre au meilleur rapport qualité / prix, participer au bien être dans l’habitat tout en luttant contre la vie chère, responsabiliser nos achats sans sacrifier au prix et à cette accessibilité qui nous est chère.
Le « sourcing », c’est-à-dire la capacité d’identifier les meilleurs produits à présenter à nos clients fait partie du savoir-faire historique et essentiel de nos équipes.
Ce n’est pas un gros mot ! C’est évidemment et logiquement l’un de nos enjeux clés, avec plus de 22 millions de produits achetés chaque année – 80% d’achat fait en Europe dont 40% d’achat Made in France. Si notre volonté est de développer le sourcing plus proche, nous continuons et continuerons à travailler avec des fournisseurs étrangers (Inde, Vietnam, Indonésie, Chine…).
Certains savoir-faire leur sont propres ou ne sont pas ou peu présents sur les territoires français ou européens. Nous collaborons ainsi étroitement avec la population locale de la ville de Cirebon en Indonésie, connue pour sa tradition du tissage et le cintrage du rotin à la main.
Répétons-le : une croissance durable est avant tout une croissance rentable. L’entreprise doit être créatrice de valeur et trouver des mécanismes justes et équilibrés de redistribution de cette valeur : c’est en cela que se trouve la durabilité.
Parions-le, dans 50 ans, la part de nos ventes « Made in France » sera supérieure à aujourd’hui. Elle se fera avec les fournisseurs avec qui nous nouons des partenariats, durables, de confiance. Avec ceux qui auront su innover au service de nos clients et se remettre en question pour rester compétitifs et agiles.
Je salue la baisse massive des impôts de production, 10 milliards d’Euros nous dit-on. Le moment est historique, la consommation est soutenue, le grand import perd en compétitivité, les pouvoirs publics s’engagent. Chacun doit jouer son rôle, But le fera comme il l’a toujours fait. Le gros du travail doit être fait par l’industrie elle-même. Innovation et compétitivité resteront probablement les facteurs clés de succès, succès du Made in France mais peut être aussi succès du Made in Ailleurs.
Alexandre Falck, PDG BUT